Un aiguillon
Les journaux vont bientôt ouvrir leurs dictionnaires des synonymes pour tenter de comprendre. Leur grand truc, ça, comprendre : "On pourrait dire que" "il faut savoir que". Il faut sonner la charge, nourrir la meute. ça dépendra de vous. J'ai tué. J'ai voulu le dire, tout à l'heure, et d'abord vous ne l'avez pas cru. Je m'en doutais. A l'entrée tout le monde s'est écarté devant moi, comme toujours. A l'accueil, votre collègue ne m'a pas vu arriver. Quand il a levé les yeux sur moi, j'ai dit : J'ai tué.
J'ai senti son sourire de flic désabusé habitué à repérer les têtes cramées. Derrière mes lunettes noires, il a dû croire à un pari ou à un délire d'accroc en manque de médocs qui s'est injecté de la merde. C'était clair qu'il n'allait pas me croire, qu'il allait me raccompagner dehors, une main gentille mais ferme sur l'épaule.
J'ai compris que je devais passer au plan B.
ça m'a coûté.
Jamais je n'avais fait ça, avant, baisser mes lunettes pour m'adresser à quelqu'un, les yeux dans les yeux. Pour entendre sa voix se déformer, devenir laide de peur. Avec l'haleine qui se charge d'angoisse, de relents de cauchemars ou de films d'horreur.
Alors il a eu ça dans la face, votre collègue, mon regard sans iris, sans couleur, qui l'a cloué."
(autres extraits à venir)
D'un texte à l'autre, des phrases restent, parfois même initient. Une image. Un cœur déboîté. Cet agencement a fait naître l'envie d'un personnage dont le cœur se déboîterait. Mais il a fallu attendre pour qu'elle (une voix féminine anonyme cette fois) prenne la parole et se lance, avec en filigrane toujours l'esprit de la collection d'"Une seule voix" (actes sud junior). Irina donnait son nom dès l'ouverture pour en dire toute la vacuité, ici, la voix n'a pas de nom.
Comme Irina X, ce texte n'a pas été retenu par les directrices de collection (justification assez peu précisée : le cadre de la collection). Pas grave. J'ai confiance en ce texte (dont j'ai testé l'impact sur des lectrices et des lecteurs), ce que je ne dis pas de tous... Cela confirme juste que même si la collection m'intéresse, je suis un chemin qui est le mien, et qui s'éloigne de cette collection. J'ai pris conscience, pleinement, avec ce refus que j'avais ouvert un chantier de fouilles. Ou une sorte de collection de voix.
Un cœur déboîté, comme Irina X, est un texte à lire à voix haute ou dans l'intime.
Une jeune femme se retrouve face à un policier et lui dit "j'ai tué". Suit alors sa déposition en 5 temps, dont le quatrième qui bégaie un peu, qui cherche le moyen de dire. La jeune femme aveugle avance dans l'histoire qui est la sienne, elle raconte la fable d'une rencontre.
Comme pour Irina X, j'ai très envie d'expérimenter une lecture publique. Tester le texte dans un espace qui ne serait pas seulement celui de mon bureau.
Comme Irina X, ce texte n'a pas été retenu par les directrices de collection (justification assez peu précisée : le cadre de la collection). Pas grave. J'ai confiance en ce texte (dont j'ai testé l'impact sur des lectrices et des lecteurs), ce que je ne dis pas de tous... Cela confirme juste que même si la collection m'intéresse, je suis un chemin qui est le mien, et qui s'éloigne de cette collection. J'ai pris conscience, pleinement, avec ce refus que j'avais ouvert un chantier de fouilles. Ou une sorte de collection de voix.
Un cœur déboîté, comme Irina X, est un texte à lire à voix haute ou dans l'intime.
Une jeune femme se retrouve face à un policier et lui dit "j'ai tué". Suit alors sa déposition en 5 temps, dont le quatrième qui bégaie un peu, qui cherche le moyen de dire. La jeune femme aveugle avance dans l'histoire qui est la sienne, elle raconte la fable d'une rencontre.
Comme pour Irina X, j'ai très envie d'expérimenter une lecture publique. Tester le texte dans un espace qui ne serait pas seulement celui de mon bureau.
Extrait 1
(ouverture)
" Vous ne pouvez pas comprendre. Pas encore. A la fin peut-être, de l'enregistrement. Je vous sens tendu, oreilles, regard, à travers la glace sans tain qui nous sépare. Vous m'êtes invisible alors que vous scrutez le moindre de mes gestes, la moindre faille de ma voix. Un tressaillement de bouche. Tout de moi devient signe pour vous parce qu'il y a cette barrière entre nous, ce miroir qui ne vous protège pas. Moi non plus sans doute.(ouverture)
Les journaux vont bientôt ouvrir leurs dictionnaires des synonymes pour tenter de comprendre. Leur grand truc, ça, comprendre : "On pourrait dire que" "il faut savoir que". Il faut sonner la charge, nourrir la meute. ça dépendra de vous. J'ai tué. J'ai voulu le dire, tout à l'heure, et d'abord vous ne l'avez pas cru. Je m'en doutais. A l'entrée tout le monde s'est écarté devant moi, comme toujours. A l'accueil, votre collègue ne m'a pas vu arriver. Quand il a levé les yeux sur moi, j'ai dit : J'ai tué.
J'ai senti son sourire de flic désabusé habitué à repérer les têtes cramées. Derrière mes lunettes noires, il a dû croire à un pari ou à un délire d'accroc en manque de médocs qui s'est injecté de la merde. C'était clair qu'il n'allait pas me croire, qu'il allait me raccompagner dehors, une main gentille mais ferme sur l'épaule.
J'ai compris que je devais passer au plan B.
ça m'a coûté.
Jamais je n'avais fait ça, avant, baisser mes lunettes pour m'adresser à quelqu'un, les yeux dans les yeux. Pour entendre sa voix se déformer, devenir laide de peur. Avec l'haleine qui se charge d'angoisse, de relents de cauchemars ou de films d'horreur.
Alors il a eu ça dans la face, votre collègue, mon regard sans iris, sans couleur, qui l'a cloué."
(autres extraits à venir)